Alors que le Gabon célèbre la Journée mondiale de la liberté de la presse, les professionnels de l’information tirent une nouvelle fois la sonnette d’alarme : au-delà de la censure directe ou des pressions politiques, c’est l’accès restreint aux sources publiques d’information qui freine le travail des journalistes. Dans un pays en quête de plus de transparence, cette entrave structurelle constitue l’un des défis majeurs à l’exercice libre et indépendant de la presse.
Des institutions peu ouvertes:
Dans la pratique, les journalistes gabonais sont souvent confrontés à un mur lorsqu’ils tentent de recueillir des données publiques. Budgets des ministères, rapports de l’Inspection générale d’État, marchés publics, statistiques officielles : autant d’informations qui devraient, selon les standards internationaux, être librement accessibles, mais qui restent difficiles, voire impossibles, à obtenir.
En tant que journalistes, nous envoyons régulièrement des demandes d’informations à diverses administrations, mais les réponses se font rares. Et quand elles arrivent, elles sont souvent incomplètes ou très tardives. Certaines institutions refusent même de répondre à des questions pourtant d’intérêt public, invoquant le »secret administratif ».
Un vide juridique préoccupant:
L’un des problèmes fondamentaux réside dans l’absence d’un cadre juridique clair et contraignant en matière d’accès à l’information publique. Si la Constitution gabonaise garantit la liberté de la presse, aucune loi ne précise les modalités concrètes d’accès aux documents administratifs. Un projet de loi sur l’accès à l’information, annoncé en 2023, reste à l’état de brouillon et n’a pas encore été soumis au Parlement.
Ce vide juridique permet aux administrations de refuser ou de retarder la transmission des informations sans aucune conséquence. Sans mécanisme de recours, les journalistes sont livrés à eux-mêmes.
Une entrave au journalisme d’enquête:
Ce manque de transparence nuit particulièrement aux investigations sur la gestion des fonds publics, les affaires de corruption ou les violations des droits humains. Il est presque impossible d’obtenir des preuves concrètes sans accès aux documents officiels.
Dans un contexte où plusieurs scandales de corruption ont éclaté ces dernières années, cette opacité alimente la méfiance du public envers les institutions, mais aussi envers les médias, souvent accusés de ne pas “aller au fond des choses”.
Des conséquences sur la démocratie:
L’accès à l’information est un pilier fondamental de toute démocratie. En privant les journalistes de ce droit, c’est la population qui en paie le prix. Une presse bien informée, c’est une société mieux gouvernée. Sans données fiables, il devient difficile pour les citoyens de juger l’action publique ou de participer pleinement à la vie démocratique.
Les experts internationaux le soulignent également : si le classement du Gabon dans l’indice de liberté de la presse de Reporters sans frontières gagne des places, sa nouvelle position illustre pourtant des limites persistantes à la liberté d’informer.
Des pistes pour sortir de l’impasse:
Face à cette situation, en tant qu’ acteur du secteur, je propose plusieurs réformes urgentes. Parmi elles : l’adoption d’une loi sur l’accès à l’information, la création d’un portail numérique de données publiques, la formation des fonctionnaires à la communication institutionnelle, et la mise en place d’un organe indépendant pour arbitrer les litiges entre journalistes et administrations.
Certains pays africains ont déjà franchi le pas. Le Nigeria et le Kenya, par exemple, disposent depuis plusieurs années de lois d’accès à l’information, avec des résultats encourageants. Le Gabon pourrait s’en inspirer pour moderniser son environnement médiatique et renforcer la confiance entre l’État, la presse et les citoyens.
Une volonté politique attendue:
Mais au-delà des textes, c’est une véritable volonté politique qui est attendue. Le nouveau gouvernement devra afficher de véritables ambitions de réformes, l’opportunité d’envoyer un signal fort en faveur de la transparence. La presse, de son côté, doit continuer de se mobiliser, malgré les obstacles.
Nous ne demandons pas de privilèges. Nous réclamons simplement le droit d’exercer notre métier dans des conditions dignes et de servir le public avec des informations vérifiées, accessibles et crédibles.
Herton-Sena Omoungou
Journaliste Reporter d’images