Affaire Maître Eyué : le Barreau du Gabon dénonce une procédure irrégulière et alerte sur les atteintes aux droits de la défense

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Entre enquête déontologique interne, pression judiciaire et tensions institutionnelles, le Barreau du Gabon monte au créneau dans une affaire à forts enjeux éthiques.


La tension monte au sein des milieux judiciaires gabonais à la suite d’une vidéo virale jugée compromettante, mettant en scène des interactions « suspectes » entre l’avocate Maître Eyué Békalé, un magistrat et son client. En réaction, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Gabon, Maître Raymond Obame Sima, a adressé une lettre ferme à la profession, dont Gabonactu.com a reçu copie. Il y dénonce une double procédure aux contours flous et aux méthodes préoccupantes, au moment même où l’État de droit est scruté à l’aune d’une refondation annoncée.

Dès le 7 juillet, le Bâtonnier a initié une enquête déontologique interne, sommant sa consœur de s’expliquer dans un délai de 24 heures. Cette initiative s’inscrit dans le strict respect de l’éthique professionnelle, pilier du fonctionnement du Barreau. Mais en parallèle, le Procureur de la République a engagé une enquête pénale, visant Maître Eyué pour « atteinte à la personnalité ».

Une démarche que le Bâtonnier juge précipitée, car elle intervient alors qu’une procédure disciplinaire est déjà en cours au sein du Barreau. Double peine ? Interférence des pouvoirs ? L’affaire met en lumière la complexité des frontières entre responsabilités professionnelles internes et poursuites judiciaires étatiques.

C’est surtout la manière dont la procédure judiciaire est menée qui indigne le Barreau. Des agents de la Direction générale des recherches (DGR) seraient intervenus à plusieurs reprises dans le cabinet de l’avocate sans son accord, violant ainsi l’article 68 de la loi sur la profession d’avocat, qui garantit l’inviolabilité de leurs locaux.

Pire : une convocation antidatée lui aurait été remise à 14h pour une comparution le jour même à 12h, une manœuvre perçue comme un piège administratif. Face à cette situation, Maître Eyué aurait passé plusieurs nuits dans son cabinet, craignant pour sa sécurité.

Pour Maître Obame Sima, « le Barreau ne fait pas obstruction à la justice, mais exige le respect des procédures légales ». Il assure que sa consœur sera défendue « avec dignité et respect », tout en appelant à la retenue, ciblant au passage certains membres de la profession qu’il qualifie de « flatteurs aux mobiles clairement identifiés ».

Au-delà de la situation individuelle de Maître Eyué, cette affaire met en lumière plusieurs enjeux fondamentaux pour la justice gabonaise :

La protection des échanges avocat-client, socle du droit à un procès équitable ;

L’utilisation d’enregistrements clandestins, dont la légalité est contestable, mais qui circulent massivement sur les réseaux sociaux ;

La crédibilité de la justice, qui vacille face à des pratiques perçues comme intimidantes, voire extrajudiciaires.

La réaction du Barreau s’inscrit dans une volonté de défendre non pas une personne, mais une institution menacée dans ses prérogatives. Comme le rappelle la lettre du Bâtonnier, cette affaire pourrait marquer un tournant dans les relations, souvent tendues, entre avocats et magistrats au Gabon.

Cette crise souligne aussi la nécessité de préserver les équilibres démocratiques et les garanties procédurales. Dans un pays en pleine recomposition politique et institutionnelle, le respect du droit – et du droit de la défense – demeure un indicateur clé de la sincérité de la refondation annoncée.

L’affaire Maître Eyué n’est pas seulement un dossier disciplinaire. C’est un révélateur du malaise qui règne dans le système judiciaire gabonais, écartelé entre besoin de rigueur éthique, exigences de transparence et tentations autoritaires. La réponse qui lui sera donnée pèsera lourd dans la perception nationale et internationale de la justice gabonaise.

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