Parlement gabonais : le malaise d’une législature sur des fondements juridiques incertains

Date:

Lorsque le Parlement travaille sur des bases juridiques fragiles, le risque est grand de voir les entorses constitutionnelles se banaliser, souvent au nom de l’efficacité ou de l’urgence. C’est précisément ce malaise institutionnel qui entoure aujourd’hui la poursuite des travaux parlementaires, notamment la session budgétaire, dans un contexte marqué par de sérieuses zones d’ombre juridiques.

Dictée par le calendrier politique et les contraintes de la Transition, la continuation des travaux parlementaires suscite une profonde circonspection. En prenant immédiatement le relais de l’Assemblée nationale de la Transition et en s’inscrivant dans une navette législative avec un Sénat toujours nommé — héritage d’une période d’exception — la nouvelle Assemblée nationale semble avoir accepté d’évoluer en dehors de tout cadre légal clairement établi. Cette situation alimente les doutes quant à sa capacité à agir en conformité avec les règles constitutionnelles.

Derrière les apparences d’un fonctionnement institutionnel normal, se dessine une réalité plus troublante : celle d’un Parlement qui légifère dans un flou juridique manifeste. La légitimité de ses délibérations, tout comme la capacité des institutions à garantir le respect de l’État de droit, se trouvent ainsi directement questionnées. Sur quels fondements juridiques le président de l’Assemblée nationale, Régis Onanga Ndiaye, et ses collègues ont-ils été autorisés à poursuivre une session officiellement close ? La question demeure sans réponse.

Ni l’attentisme de la Cour constitutionnelle, ni le silence du gouvernement, ni même l’enthousiasme affiché des députés — encore moins l’indifférence d’une partie de l’opinion — ne sauraient masquer cette réalité. Pour des raisons d’anticipation et afin de respecter le calendrier politique, l’Assemblée nationale de la Transition a clos la session budgétaire le 13 novembre. Le Sénat de la Transition devrait en faire de même dans les tout prochains jours.

Dans ces conditions, comment justifier la poursuite des travaux en cours ? La Constitution est pourtant explicite. En son article 85, elle stipule que le Parlement se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires de quatre mois par an, la seconde s’ouvrant le premier jour ouvrable de septembre pour s’achever le dernier jour ouvrable de la troisième semaine de décembre. Peut-on alors admettre que deux Assemblées nationales, aux statuts et aux légitimités distincts, se succèdent au cours d’une même session ? À moins de confondre Transition et ordre constitutionnel, la réponse semble négative.

Certes, les autorités invoquent la nécessité d’assurer la continuité de l’État et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Certes aussi, l’engagement de retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er janvier 2026 est régulièrement rappelé. Mais fallait-il pour autant s’affranchir des principes fondamentaux ? Le calendrier politique devait-il primer sur le calendrier constitutionnel ? N’aurait-il pas été plus judicieux d’organiser les élections législatives, locales et sénatoriales durant l’intersession parlementaire, c’est-à-dire entre le 31 décembre 2025 et le 1er mars 2026 ?

Là encore, la Constitution est sans équivoque : hors session ordinaire, le Parlement ne peut se réunir qu’en session extraordinaire. Or, dans le cas présent, cette option était inapplicable, le nouveau Parlement n’ayant pas encore tenu sa première session ordinaire. De ce fait, l’activité législative actuelle apparaît reposer sur des bases particulièrement instables. Une situation ni rassurante ni à l’honneur des institutions.

Cette fragilité est d’autant plus préoccupante que les textes examinés sont d’une portée majeure. En votant la loi d’habilitation, la nouvelle Assemblée nationale s’apprête à autoriser le président de la République à légiférer par ordonnance, alors même qu’elle n’a pas formellement ouvert de session. En se prononçant sur la Taxe forfaitaire d’habitation, elle réexamine également une loi de finances initiale déjà adoptée par l’Assemblée nationale de la Transition.

Ce chevauchement des légitimités fait planer le spectre d’une véritable zone de non-droit. Au-delà des aspects procéduraux, la situation pose de lourdes questions institutionnelles. Le Parlement n’est pas un simple organe technique de production normative ; il constitue, partout dans le monde, l’un des piliers de l’ordre constitutionnel. Lorsqu’il fonctionne sur des bases juridiques incertaines, c’est l’ensemble de l’édifice institutionnel qui s’en trouve fragilisé.

Si les conséquences ne sont pas immédiatement visibles, le risque est réel de voir se normaliser des violations de la Constitution, justifiées par l’urgence ou par un souci d’efficacité. Pourtant, ces échéances étaient connues de longue date. Pourquoi n’ont-elles pas été anticipées ? Pourquoi avoir laissé s’installer une telle confusion institutionnelle, au prix d’un véritable gymkhana juridique ?

Au fond, cette situation révèle également un malaise d’ordre éthique. À un moment charnière de l’histoire nationale, la rigueur institutionnelle devrait s’imposer comme une priorité absolue. Non par goût excessif du formalisme, mais pour restaurer la crédibilité de l’État et rétablir la confiance entre gouvernants et gouvernés.

Peut-on encore lever l’ambiguïté et clarifier le cadre juridique actuel ? Rien n’est moins sûr. L’État de droit ne se reconstruit pas par des arrangements ou des bricolages juridiques, mais par une discipline collective et le respect scrupuleux des règles établies. En faisant fonctionner l’Assemblée nationale sur des bases juridiques floues, le risque est grand de transformer l’exception en norme.

Or, le Gabon ambitionne précisément de tourner la page des pratiques d’exception. À ce titre, il ne saurait durablement s’accommoder de telles irrégularités institutionnelles.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

spot_img