Moins de 24 heures après la prestation de serment de Faure Gnassingbé en tant que président du Conseil des ministres, plusieurs centaines d’opposants togolais sont descendus dans les rues de Lomé pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une confiscation du pouvoir sous couvert de réforme institutionnelle. Dans un climat tendu mais sans incidents, les manifestants ont fustigé une « dérive monarchique » et un « coup de force constitutionnel ».
Le 4 mai, Faure Gnassingbé a officiellement accédé à ses nouvelles fonctions, rendues possibles par l’adoption en avril d’une nouvelle Constitution. Ce texte instaure un régime parlementaire qui fait du président du Conseil des ministres le véritable chef de l’exécutif, reléguant le président de la République à un rôle essentiellement symbolique. Une évolution que l’opposition qualifie de « mascarade démocratique », dénonçant une manœuvre destinée à assurer la pérennité du pouvoir en place.
Une réforme controversée aux accents dynastiques
Dans les rues de Lomé, les slogans brandis par les militants de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), des Forces démocratiques pour la République (FDR) et de diverses organisations de la société civile étaient sans ambiguïté : « Non à la monarchie », « Constitution illégitime », « Togo pour tous ».
Pour Jean-Pierre Fabre, leader de l’ANC, cette réforme institutionnelle est « une forfaiture » qui marque « l’élimination systématique de toute alternative démocratique ». Me Dodji Apévon, président du FDR, abonde dans le même sens : « La majorité des Togolais n’accepte pas ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays. »
La contestation se focalise sur la concentration des pouvoirs entre les mains de Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, et sur le verrouillage du paysage politique. Grâce à une majorité écrasante à l’Assemblée nationale (108 sièges sur 113) et au Sénat (34 sièges sur 41), obtenue lors d’élections boycottées par une partie de l’opposition, l’Union pour la République (Unir) contrôle tous les leviers du pouvoir.
Un pouvoir sans suffrage direct
Le nouveau système, qui supprime l’élection présidentielle au suffrage universel, permet à Faure Gnassingbé de conserver l’essentiel du pouvoir exécutif sans passer par les urnes. Une dynamique que l’historien Michel Goeh-Akue qualifie de « monarchisation qui ne dit pas son nom ».
Alors que les autorités défendent une volonté de modernisation et de dépersonnalisation du pouvoir, les critiques dénoncent un recul démocratique majeur. Le ministre Gilbert Bawara a tenté de désamorcer les tensions en affirmant que la réforme vise à « dérégionaliser le système politique » et à « renforcer l’unité nationale », tout en reprochant à l’opposition de manquer d’ancrage sur le terrain.
L’opposition, entre indignation et isolement
Si la mobilisation de l’opposition a été visible et médiatisée, elle reste limitée géographiquement et peine à fédérer largement. La dispersion des partis, leur affaiblissement structurel et l’absence de relais dans certaines régions limitent leur capacité à contester efficacement le pouvoir.
Mais pour de nombreux observateurs, cette réforme constitutionnelle s’inscrit dans une stratégie de long terme déjà éprouvée : changer les règles pour préserver l’ordre établi. Comme sous le règne de son père, le général Eyadéma Gnassingbé, Faure Gnassingbé semble avoir consolidé un système de pouvoir dynastique et verrouillé, masqué par un vernis institutionnel.
Un avenir politique incertain
Reste une interrogation centrale : jusqu’où ce système tiendra-t-il sans fissures ? Le peuple togolais, qui a déjà connu plusieurs vagues de contestation au cours des deux dernières décennies, pourrait-il se mobiliser à nouveau ? Ou bien ce nouveau régime parlementaire consacrera-t-il la définitive consolidation du pouvoir gnassingbéen ?
Pour l’heure, la rue gronde, mais le pouvoir reste implacable. Le Togo semble entré dans une nouvelle ère politique, dont le pluralisme et la légitimité restent, plus que jamais, en question.